La discussion actuelle à l’ANC sur le nouveau projet de loi sur les énergies renouvelables est une occasion propice pour revenir sur le débat et les conséquences de l’inscription de la souveraineté des ressources naturelles dans l’article 13 de la nouvelle constitution.
Ainsi, nous discuterons de la définition d’une ressource naturelle, de l’éventuelle inclusion des énergies renouvelables dans cette définition et de son impact sur la loi sur les énergies renouvelables.
Ressources naturelles : une définition ouverte
Peu d’institutions internationales se sont penchées sur la question de la définition des ressources naturelles. Cependant, toutes les institutions qui s’y sont intéressées sont d’accord pour dire que la définition de celles-ci n’est pas si évidente. En effet, deux définitions extrêmes limitent le spectre des ressources naturelles. La première définition extrême serait de dire que toute marchandise, toute production nécessite des ressources naturelles pour être produites, si bien que de fil en aiguille tout produit pourrait être qualifié de ressource naturelle par construction logique. La deuxième définition extrême serait de dire que seules les ressources brutes sont considérées comme des ressources naturelles. La première définition engendre que si tout est ressource naturelle alors il n’est pas pertinent d’en faire une définition distincte. La deuxième omet que toute ressource nécessite un minimum de transformation pour être utilisable. Ainsi, dans sa définition de 1964, l’UNESCO distingue deux types de ressources naturelles : les ressources brutes, qui serviront à satisfaire les besoins de l’homme ; et les ressources transformées d’une manière ou d’une autre par l’homme.
La définition d’une ressource naturelle reste donc tributaire du degré de transformation des ressources que l’on veut faire rentrer dans la catégorie « ressources naturelles ». Une fois cette ligne de démarcation tracée, il est aisé de classifier les ressources naturelles selon qu’elles soient renouvelables ou non, biotiques ou abiotiques, organiques ou inorganiques, dans l’air, les sous-sols ou sur la surface de la Terre.
Ressources naturelles et Article 13 de la Constitution Tunisienne
L’article 13 de la Constitution votée en 2014 inscrit la souveraineté de l’Etat sur les ressources naturelles, et ce au nom du peuple. Ainsi, savoir quelles ressources entrent dans la définition des ressources naturelles est primordial pour la Tunisie. La discussion actuelle au sein de l’Assemblée sur le projet de loi sur les énergies renouvelables est l’occasion d’appliquer la nouvelle constitution et d’en tracer les contours au travers des lois qui s’inscriront dans ce nouveau cadre. Les énergies renouvelables seront-elles considérées par nos députés comme des ressources naturelles ?
La réponse n’est pas si évidente. En effet, Mohamed Dhia Hammami, qui a suivi de près ce dossier, a abordé, dans les colonnes de Nawaat, le contexte de l’inscription de l’article 13 dans la constitution. Le contenu de l’article a subi de nombreuses modifications dont une qui nous intéresse plus particulièrement. En effet, comme le souligne M. Hammami : « Lors de la reformulation de l’article, on s’est aperçu que les sources d’énergies renouvelables, les cours d’eaux superficiels et même l’air n’étaient pas concernées par ce texte. Il a donc été décidé de supprimer l’expression « situées dans le sous-sol » pour élargir le champ d’action de cet article aux différents types de ressources naturelles : fossiles, renouvelables, hydriques, etc, ainsi qu’à tous le territoire national : aérien, marin et terrestre. » Il semble donc que la question de la définition des ressources naturelles a non seulement été abordée par les députés qui ont déposé et soutenu l’article 13 mais qu’ils ont volontairement élargi la définition aux énergies renouvelables. Cependant, l’inclusion des énergies renouvelables dans la définition des ressources naturelles ne s’est pas matérialisée dans le projet de loi sur les énergies renouvelables. En effet, à aucun moment le projet de loi ne définit les énergies renouvelables comme des ressources naturelles. Les députés de l’ANC vont-ils confirmer l’intention et le contexte dans lequel ils ont inscrit l’article 13 de la constitution ? Cette réponse pourrait avoir des conséquences non négligeables sur le secteur des énergies renouvelables en Tunisie comme nous allons le voir par la suite.
Conséquences de l’inscription des énergies renouvelables comme ressources naturelles
Quelles seraient les conséquences de l’inscription des énergies renouvelables comme ressources naturelles pour ce secteur porteur pour la Tunisie ? Deux conséquences semblent ressortir : premièrement une conséquence en termes de gouvernance et une deuxième en termes de propriété de ces ressources.
Conséquences sur la gouvernance du secteur des énergies renouvelables
Nous reviendrons plus en détail sur la gouvernance du secteur des énergies renouvelables telle qu’elle apparait dans le projet de loi discuté actuellement.
Le projet de loi tel qu’il est discuté actuellement présente plusieurs faiblesses parmi lesquelles une faille remarquable dans le processus de décision. Celui-ci est fortement concentré chez le Ministre chargé de l’Energie (actuellement sous le Ministre de l’Industrie) et de manière générale au sein de commissions aux mains du pouvoir exécutif. Si jamais les énergies renouvelables sont définies comme des ressources naturelles alors, d’après cet article 13 de la constitution, les accords liés aux ressources naturelles seront approuvés par l’Assemblée. Ce qui change totalement la structure de la gouvernance du secteur des énergies renouvelables et les dispositions de la loi.
Parmi les points positifs de ce changement, il y aura certainement une amélioration de la transparence au niveau des contrats et du processus d’octroi des contrats entre l’Etat et le privé, une mesure essentielle pour lutter contre la corruption (favoritisme, trafic d’influence, etc.). Cela permettra aux élus, chercheurs, étudiants, journalistes ou membres de la société civile de mieux suivre le secteur et de contribuer positivement et de manière constructive (sur la base de données accessibles et fiables) au débat public.
Cependant la question de la durée des procédures d’octroi reviendra sûrement sur le devant de la scène. En effet, plus les projets concerneront des puissances installées de petite envergure, plus le passage devant l’Assemblée pour approbation paraîtra absurde, compliquant ainsi la mise en place de ces projets et agissant par là même comme un frein au développement du secteur pour les petits producteurs.
Il s’agit donc pour les députés de trouver un juste milieu entre bonne gouvernance démocratique et efficacité et ce, en distinguant les projets selon leur taille. Les petits projets seraient validés par autorisation du Ministre chargé de l’Energie et les gros projets seraient approuvés par l’Assemblée. Comme l’a fait le Maroc dans sa loi sur les énergies renouvelables, il serait plus judicieux d’indiquer les seuils pour distinguer les petits des gros projets directement dans la loi au lieu de laisser cette prérogative au Ministre (comme c’est le cas actuellement dans le projet de loi). Par exemple, les députés pourraient s’inspirer du nouveau Plan Solaire Tunisien publié par l’ANME pour inscrire dans la loi les seuils comme suit :
Conséquences sur la propriété des énergies renouvelables
Si les énergies renouvelables sont définies comme étant des ressources naturelles, il en découle, par l’application de l’article 13 de la constitution, que les énergies renouvelables sont la propriété du peuple tunisien. La question qui s’ensuit est la suivante : si les énergies renouvelables sont la propriété du peuple tunisien et qu’elles sont exploitées par un investisseur, celui-ci ne devrait-il pas payer une redevance au peuple tunisien (en fait à son représentant, l’Etat) comme c’est le cas pour les énergies fossiles non renouvelables ?
C’est ici qu’entre en compte le concept de capital naturel. Tout pays détient un capital naturel composé par la totalité de ses ressources naturelles non exploitées. Ainsi, en exploitant le gaz localisé dans les sous-sols du pays, l’exploitant épuise une partie du capital naturel du pays. Cet épuisement prive les générations futures de ce capital exploité et c’est cette privation qui oblige l’exploitant à verser une compensation, appelée redevance, à l’Etat, garant des intérêts du peuple. Cependant, du fait même que les énergies renouvelables ne s’épuisent pas, par définition dirions nous, l’exploitation de celles-ci génèrent des revenus mais n’épuise pas le capital naturel, par exemple le capital solaire ou éolien. Ainsi, il est difficile de justifier le paiement d’une compensation par l’exploitant s’il n’y a pas une aliénation du patrimoine collectif lié aux énergies renouvelables, du fait même qu’elles sont inépuisables. Cependant envisager une redevance ne relève pas du surréalisme étant donné que pour participer aux frais liés au réseau, une redevance est appliquée par la région de Wallonie au Sud de la Belgique pour les producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable plus précisément le photovoltaïque.
Par ailleurs, il est à noter que, dans la plupart des cas, les analyses de coûts des systèmes électriques ne prennent pas en compte les réductions des émissions de CO2 ou d’autres externalités tels que la pollution de l’air et de la contamination de l’environnement naturel dans le cas des énergies renouvelables. Mais encore ces externalités négatives ne sont pas répercutées en surcoût pour les producteurs d’électricité d’origine fossile. Il serait ainsi logique que les pollueurs paient une redevance à l’Etat. Nous entrons ici dans le domaine des quotas carbone, du marché du carbone et de la fiscalité environnementale en générale qui devront, tôt ou tard, être pris en compte par les autorités tunisiennes que ce soit dans le cadre d’une compensation pour pollution ou même dans la prise en compte du coût des différentes énergies.
De grands défis attendent la Tunisie dans le secteur des énergies renouvelables, et un vrai débat doit être lancé par les différents acteurs du pays afin de ne pas partir du mauvais pied et décider de l’avenir d’un secteur stratégique, à haute valeur ajoutée en termes d’emploi locaux, dans la précipitation et sous la pression étrangère.