La sécurité énergétique est aujourd’hui au cœur des préoccupations de la Tunisie. Avec la guerre en Ukraine et la flambée des prix du pétrole et du gaz, on ne connaît aucun pays qui ne soit pas inquiet. Le thème est effectivement d’actualité et très sensible dans le contexte que le monde vit après trois chocs qui vont certainement finir par modifier non seulement la carte économique et politique du monde, mais aussi sa carte énergétique en matière de contrôle et d’échanges des ressources énergétiques, ainsi que les modèles de consommation.
Le choc pétrolier de 2014 a annoncé la couleur, entraînant les principaux détenteurs de ressources à envisager une autre façon de regarder l’avenir de leur avantage, face à des mutations énergétiques accélérées au sein des plus gros consommateurs. La pandémie du Covid-19 a subitement ralenti toutes les économies mondiales et amené les plus grands acteurs économiques ou énergétiques à se refermer sur eux-mêmes et à prendre conscience qu’il ne faut ni trop dépendre de ses ressources productrices de rente, ni trop dépendre de l’approvisionnement extérieur dans tous les domaines. Le conflit russo-ukrainien est venu compléter les deux premiers chocs en matière de sécurité énergétique et alimentaire, à travers certains scénarios sombres qui pointent à l’avenir.
Menaces réelles
Avec la guerre en Ukraine, la menace d’une forte poussée inflationniste des prix de l’énergie est bien réelle. La Tunisie ne pourrait échapper à un éventuel choc pétrolier.
Personne n’avait imaginé qu’à la sortie de la crise sanitaire, l’économie mondiale se trouverait plongée dans un tel chaos. Ruptures de stocks et goulots d’étranglement sont apparus tout au long des chaînes d’approvisionnement. Les prix s’enflamment, à commencer par ceux de l’énergie. La crainte de l’inflation ressurgit, rejaillissant jusque sur les politiques monétaires. Or, aujourd’hui avec le conflit russo-ukrainien, les menaces sont réelles même pour les économies les plus solides.
Avant la guerre, le Covid demeurait le premier responsable de cette poussée inflationniste sur les prix de l’énergie. La pandémie a empêché le monde d’anticiper la croissance tout simplement. Rien que pour l’énergie, les investissements dans l’exploration de nouveaux gisements ont été retardés par manque de visibilité. Ce manque d’investissement a engendré des retards dans la production d’où la rareté des produits.
Au regard du contexte actuel, la Tunisie, à l’instar des autres pays, ne sera pas épargnée par cette crise. Elle se trouve aujourd’hui face à des choix stratégiques difficiles pour satisfaire ses besoins énergétiques futurs. En effet, ses besoins d’énergie primaire sont couverts par le pétrole et le gaz, les ressources propres du pays assurant près de 85 % de la consommation. Une part importante de son approvisionnement énergétique extérieur est constituée de gaz naturel acheminé d’Algérie par gazoduc, que la Tunisie importe ou prélève à titre de redevance sur le gaz destiné à l’Italie. La Tunisie était, jusqu’au début des années 2000, un exportateur net d’énergie.
Depuis lors, la demande d’énergie a augmenté plus vite que la production nationale, et les importations pétrolières et gazières ont connu une augmentation progressive. Selon des projections de 2020 sur la demande d’énergie et les sources d’approvisionnement, la Tunisie sera confrontée à une pénurie d’énergie primaire. Certes, il existe des perspectives de développement de nouveaux gisements, mais ces réserves sont limitées et incertaines.
Problème de tensions sur l’approvisionnement
Le problème actuel n’est pas uniquement le prix, mais surtout la disponibilité et les tensions sur l’approvisionnement. «Au-delà du conflit en Ukraine, c’est à partir de 2013 que la Tunisie s’est engagée dans un rythme d’augmentation des prix du carburant à la pompe sous la pression du FMI. Une hausse impactant la bourse des citoyens, puisque depuis le début de 2022, le prix des carburants a été augmenté à 4 reprises, une augmentation de 3% en février, de 3% en mars, de 5% en avril puis de 3,9% mi-septembre, après une interruption de 5 mois, soit un cumul d’augmentation totale effective de 15,9 % », précise l’Observatoire tunisien de l’économie dans une étude sur «Le système de subventions des carburants».
Si le rythme des augmentations devait se poursuivre jusqu’à la fin d’année selon le taux d’ajustement mensuel de 3% mentionné dans le rapport sur le budget de la loi de finances 2022, «nous en serons à un taux effectif de 41% d’augmentation d’ici la fin de l’année».
Selon la même source, depuis la signature du prêt de 2016, «la Tunisie subit la pression du FMI pour lever les subventions sur les carburants, et se dirige vers la “réalité des prix” en réduisant les écarts entre le prix international et le prix à la pompe, et ce, afin de préserver les équilibres budgétaires ».
Ceci s’inscrit dans le cadre des réformes structurelles en contrepartie du financement du FMI qui vise la suppression des subventions énergétiques et alimentaires comme mécanisme de protection sociale pour les remplacer par un système basé sur le ciblage des subventions au bénéfice des plus vulnérables.
L’étude indique, par ailleurs, que cette transformation opérée sur la subvention des hydrocarbures « représente une des plus importantes conditionnalités que poursuivent les autorités tunisiennes à travers les différents programmes de prêts et leurs revues depuis 2013 du FMI et de la Banque mondiale, jusqu’aux présentes négociations pour un nouveau prêt».
Réforme des subventions des hydrocarbures
La subvention des carburants s’inscrit dans la plus large politique de compensation implémentée en Tunisie. La logique de la compensation a été adoptée par l’Etat dans les années 70, afin, non seulement d’appuyer les familles les plus vulnérables, mais aussi pour protéger le pouvoir d’achat des Tunisiens en assurant l’approvisionnement du marché local en produits à prix abordables, loin des fluctuations du marché mondial, selon le ministère du Commerce.
Depuis les années 2000, la Tunisie est passée d’un pays exportateur de pétrole à un pays importateur. L’augmentation des prix des hydrocarbures à l’international a poussé vers l’extension de la compensation aux produits énergétiques en 2004. «L’objectif était de protéger le pouvoir d’achat de manière à soutenir la compétitivité de certains secteurs et donc de soutenir l’appareil de production national, grâce au système de fixation du prix du carburant».
Dans un rapport publié en 2014, le FMI reconnaît que la réforme en question aura des impacts directs, essentiellement sur l’élévation du niveau général des prix, la compétitivité internationale des produits locaux consommateurs d’énergie, et l’exposition des prix internes aux chocs qui peuvent découler des fluctuations des prix sur le marché mondial. Pour cela, l’institution financière a proposé un certain nombre de recommandations, à savoir :
Le gouvernement doit conscientiser les acteurs à travers un esprit de consultation autour de la réforme, une campagne d’information pour gagner un soutien public, et un timing et un rythme bien choisis pour réduire les risques de tensions sociales.
Le gouvernement doit faire de la levée des subventions une réforme “dépolitisée” en implémentant des “mécanismes automatiques” et selon des règles prédéfinies qui bloquent les tentations de retour en arrière.
Le gouvernement doit faire accompagner la réforme par un mécanisme de compensation ciblée aux ménages les plus vulnérables.
Depuis l’adoption de cette réforme, l’Etat tunisien a entamé tous les mécanismes de la réforme recommandés par le FMI. En effet, il a engagé une augmentation progressive des prix des carburants et ancré le mécanisme d’ajustement automatique des prix dans le corps législatif à travers l’implémentation du mécanisme d’ajustement automatique.
Cette réforme vise à réduire le montant de la subvention (ratio du PIB) en augmentant les prix à la pompe afin de s’aligner sur le prix sur le marché international, institutionnaliser l’ajustement trimestriel des prix locaux aux prix internationaux et compenser les ménages les plus défavorisés (le ciblage ne prendrait pas en compte les petites entreprises et les acteurs économiques).