Nous, militants de la société civile, journalistes, économistes et chercheurs de pays d’Afrique du Nord, réunis le 24 et 25 novembre 2022 à Tunis à l’occasion d’une rencontre organisée par l’Observatoire Tunisien de l’Economie et le réseau pour la Justice fiscale en Afrique, en présence d’alliés pour la justice fiscale venus de toute l’Afrique, nous appelons à une réforme fiscale mondiale juste, participative et inclusive.
Cet appel se fonde tout d’abord sur un constat d’échec des politiques fiscales mondiales qui n’ont pas répondu aux défis de l’évasion fiscale et des flux financiers illicites qui entravent la mobilisation de ressources nécessaires au développement de nos pays.
Si les réformes globales en matière fiscale sont aujourd’hui nécessaires, les menaces que représente actuellement le projet de réforme promu dans le cadre de l’OCDE sont néanmoins réelles.
Force est de constater tout d’abord que les négociations de l’“Accord fiscal Mondial” au sein de l’OCDE mandaté par les groupes de pays riches du G7, n’ont été ni inclusives ni transparentes, dans un contexte où le rapport de force qui se joue au sein de l‘architecture financière mondiale est rarement favorable aux intérêts des pays du Sud.
Notre rencontre a ainsi répondu à un besoin d’information sur cet accord qui était censé entrer en vigueur le 1er janvier 2023 dans certains de nos pays alors que l’évaluation de ses bénéfices et ses impacts n’a fait l’objet d’aucune information ou débats publics au niveau national. , Les retards dans la mise en œuvre et les désaccords sur les détails des réformes au niveau global ont repoussé le calendrier d'un accord complet sur le premier pilier à la mi-2023 et la mise en œuvre du deuxième pilier à 2024 au plus tôt.
L'entrée en vigueur du pilier 2 en Europe est néanmoins déjà prévue pour décembre 2023 suite à l'accord en fin d’année 2022des vingt-sept pays de l'Union européenne (UE) sur la taxation minimale effective à 15 % des bénéfices des multinationales, l’UE espérant être suivie par les Etats Unis qui n’ont pour l’instant pas rendu leur décision. Ainsi, et au-delà de la complexité des termes de cet accord qui pose un véritable défi à son application par les administrations fiscales, le constat général est que ces dispositions vont à l’encontre des intérêts de nos pays.
Les termes du pilier 1 de cet accord sont principalement dans l’intérêt des États riches où siègent les multinationales du commerce électronique en rendant très difficile l’imposition de leurs bénéfices au-delà de ces pays. Une fois que cet accord entrera en vigueur, les pays qui l’auront signé renonceront à leurs droits d’imposition, ne pouvant plus imposer sur leur territoire les bénéfices tirés de cette économie numérique.
D’autre part, cet accord fiscal mondial vise à travers son pilier 2 à imposer un minimum d’impôt effectif de 15% sur les revenus des multinationales pour mettre fin à la concurrence fiscale. Au-delà d’un taux d’imposition contesté par les pays du Sud ayant plaidé pour relever ce taux à 20 ou 25%, ce pilier pourrait être un vrai danger pour les pays qui ont un taux d’impôt effectif en dessous de 15% car il impliquera dans ce cas une perte de revenus fiscaux au profit des pays riches où siègent les multinationales concernées par cet impôt minimum.
Notre rencontre a ainsi permis de dépasser le carcan technique de la fiscalité internationale qui retarde toujours une réponse commune aux questions politiques essentielles. Elle a été ainsi l’occasion de connecter les niveaux nationaux, régionaux et continentaux pour construire cette réponse et bâtir un agenda commun.
A l’attention des pays d’Afrique du Nord, les différents acteurs présents à Tunis :
Soulignent l’importance de mener des réformes fiscales globales pour lutter contre les flux financiers illicites qui réduisent actuellement les revenus domestiques des pays d’Afrique nécessaires pour le développement et la réalisation des droits humains.
Alertent contre la dimension néocoloniale de la réforme définie, discutée et promue par l’OCDE ne servant que les intérêts des pays développés, et appellent les pays d’Afrique du Nord à continuer de refuser pour l’Algérie et la Lybie, ou se retirer de l’accord fiscal mondial pour la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie, et l’Egypte tant que leurs intérêts ne sont pas garantis.
Appellent à la négociation d’une convention fiscale sous l'égide des Nations Unies comme alternative au cadre de l’OCDE afin de garantir l’inclusivité et la prise en compte des intérêts de chaque pays. En cela, nous appelons les pays d’Afrique du Nord à soutenir les pays africains à l’initiative d’une résolution récemment adoptée lors de l’assemblée générale des Nations Unies pour concrétiser un nouvel espace de discussion des politiques fiscales mondiales.
Appellent les pays d’Afrique du Nord à revoir leurs taux d’impositions effectifs et à revoir leurs arsenaux d’avantages fiscaux en les rationnalisant et les conditionnant aux objectifs de développement.
Appellent les pays d’Afrique du Nord à coopérer. A l’échelle régionale, la concurrence fiscale doit cesser entre les pays car elle entraîne un nivellement par le bas et freine le développement. A l’échelle mondiale, il est urgent de faire front commun pour défendre une justice et une souveraineté fiscales pour nos pays.
Nous appelons toutes les forces vives d’Afrique du Nord à nous rejoindre sur les engagements que nous prenons pour renforcer la capacité de nos pays à s’opposer aux réformes fiscales internationales régressives, et à construire et promouvoir des cadres et des conditions de la fiscalité internationale plus justes pour nos pays.
Ceci passe par :
Mettre la recherche au service de l’analyse des enjeux de cet accord dans nos pays, et au service de l’étude de politiques et mesures fiscales alternatives.
Promouvoir auprès de nos décideurs nos recommandations pour qu’ils s’engagent sur des réformes globales qui soient réellement multilatérales et bénéfiques pour nos pays, qu’ils coopèrent sur des réformes fiscales régionales, et enfin qu’ils réalisent une justice fiscale dans chacun de nos pays.
Sensibiliser les citoyens et impliquer toutes les parties prenantes concernées par la mobilisation de revenus domestiques pour le développement et la réalisation des droits humains dans nos pays.
Rejoindre et renforcer le réseau TJNA en Afrique du Nord, qui est une richesse pour réaliser les conditions d’une justice fiscale dans nos différents pays, une opportunité d’amplifier notre mouvement au niveau africain, et la garantie que nos luttes en Afrique soient défendues au niveau global.
Lien pour signer
نداء شمال افريقيا من أجل سياسات جبائية عالمية أكثر عدلاً في المنطقة (office.com)