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Le code de l’investissement, au cœur du débat politique

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Libéraliser en urgence

 

Censé catalyser  les « réformes » exigées par les bailleurs de fonds, le CI est l’un des principaux outils de politique économique de l’Etat. Il détermine les avantages financiers et fiscaux  offerts aux investisseurs étrangers ou nationaux. Ses dispositions sont souvent conçues de façon à orienter les comportements des agents économiques. Un code pourrait focaliser sur les investissements directs étrangers. Un autre pourrait protéger certains secteurs comme l’énergie en exigeant des autorisations préalables et des cahiers de charges. Le projet de Yassine Brahim, actuel ministre du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale est ouvertement libéral. Plus d’autorisations, ni de cahiers de charges. Plus de distinctions entre investisseurs tunisiens et étrangers. Les investisseurs qui n’étaient autorisés à recruter que 4 cadres étrangers, peuvent désormais en employer 10 indépendamment de l’effectif de l’entreprise.

 

« Notre pays doit assumer son choix d’être un pays d’économie libérale, ouvert sur la mondialisation, et engagé sur la voie de la modernisation » avait tweeté  Yassine Brahim le 24 avril dernier, alors que son coéquipier Slim Chaker, ministre des Finances ferraillait pour faire passer des lois tout autant libérales. Sous la pression de l’Exécutif,  l’Assemblée a adopté à la hâte la nouvelle loi sur l’indépendance de la banque centrale le 12 avril et la nouvelle loi bancaire le 12 mai.

 

Yassine Brahim est pressé. Dans une audition à la commission des finances le 9 mai, il a recommandé  aux parlementaires d’adopter le projet du code de l’investissement et la loi sur la fiscalité relative à l’investissement avant le mois de septembre. Pour lui, le mieux est de les finaliser avant la tenue de la conférence internationale sur l’investissement prévue les 29 et 30 novembre 2016.

 

Un texte plus court

 

La mouture du nouveau code comporte 25 articles. L’ancien Code des incitations aux investissements (CII) de 1993 en comportait 67, dont 43 qui ont été révisés et modifiés à plusieurs reprises. Au fil des années, le CII a mué en un labyrinthe juridique et bureaucratique avec  pas moins de 155 décrets d’application.

 

Le nouveau Code est décliné en cinq axes : l’accès aux marchés, les devoirs et garanties des investisseurs, la gouvernance des investissements, les incitations et enfin la gestion des conflits. Une préface sous forme de dispositions générales évoque des objectifs aussi ambitieux que « l’émergence d’entreprises compétitives, la création d’emplois, la mise à niveau  de la qualité du capital humain ou encore le développement régional intégré et équilibré ».

 

Aussi court soit-il, le projet du nouveau code de l’investissement ne fait pas l’unanimité auprès des économistes et des acteurs économiques du pays. L’apparente simplicité cacherait des raccourcis juridiques qui ont pour effet de retarder les questions épineuses à la promulgation des textes d’application.

 

Problème constitutionnel

 

Avant de soumettre le projet du CI à la plénière pour adoption, les députés auraient à résoudre les défis et problèmes que pose la proposition gouvernementale. Solidar Tunisie, think tank présidé par la députée Takattol  de la constituante Lobna Jeribi, a récemment confronté le projet du CI à la constitution et aux lois actuelles. Il en ressort plusieurs contradictions. Contrairement à l’article 65 de la Constitution qui insiste que « les textes relatifs aux emprunts et aux engagements financiers de l’État sont pris sous forme de lois ordinaires », le projet du CI stipule que les taux, les montants et les conditions d’octroi des primes financières aux investisseurs seront fixés par décrets.

 

Lors d’une atelier organisé par Solidar Tunisie le 19 mars dernier, Karim Jamoussi, magistrat et ancien secrétaire d’Etat chargé des domaines de l’Etat et affaires foncières, a estimé que « l’article 20 du projet du CI laisse à l’administration toute la latitude d’octroyer les primes ou non… La bonne gouvernance exige également de limiter au maximum le pouvoir discrétionnaire de l’administration, pour garantir un cadre transparent, d’ou la nécessité de rendre l’octroi de primes citées par l’article 20 du projet automatique. » Le système des primes financières devrait donc être précisé dans une loi et non un décret ministériel. Il en est de même pour les incitations fiscales qui devraient être intégrées dans le code plutôt que dans un texte séparé comme le veut le gouvernement.

 

Désordre institutionnel

 

La cohérence  fait également défaut au niveau du chapitre de la gouvernance institutionnelle  de l’investissement. Le projet de code prévoit la création de trois nouvelles structures pour l’investissement : le Conseil Supérieur de l’Investissement (CSI), l’Instance Tunisienne de l’Investissement (ITI) et le Fonds Tunisien de l’Investissement(FTI). Pour Karim Jamoussi, cette nouvelle configuration du projet n’a pas adopté le choix d’une absorption-fusion des structures existantes de l’investissement au sein de l’ITI.  « Le  projet cantonne l’ITI à un rôle de coordination, il ne lui donne aucun pouvoir de décision vis-à-vis des autres structures  d’investissement (API, APIA, ONTT, AFI, AFT,  FIPA,  CEPEX…) lui permettant d’avoir le dernier mot, d’ou le risque de blocage en cas de divergences entre les structures » a-t-il  mis en garde.

 

Le foncier agricole menacé ?

 

Animé par les principes de la liberté d’accès aux marchés et de liberté d’investissement, le projet de CI stipule dans son article 5 que :« L’investisseur est libre d’acquérir, de louer et d’exploiter des biens immobiliers pour réaliser ou poursuivre des investissements directs ou indirects. L’investisseur tunisien peut posséder, louer et exploiter des terres à vocation agricole, pour réaliser ou poursuivre des opérations d’investissement agricoles. L’investisseur étranger peut investir dans le secteur agricole sans que cela ne mène à l’acquisition des terres à vocation agricole ».

 

Disséqué par l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE) dans une note analytique de 5 pages, l’article 5 introduirait des changements majeurs dans le système foncier national. Jihène Chandoul et Sabra Chraifa, co-auteures de la note, montrent que « le projet de CI permet à des sociétés étrangères ou à des étrangers, sous couvert d’une société tunisienne, de devenir propriétaire de nos terres agricoles ». Une remise en cause radicale de la loi du 12 mai 1964 sur la nationalisation des terres agricoles. « Une société tunisienne peut être détenue à plus de 99,9% par des étrangers par un système emboitement en gigogne de sociétés tunisiennes, comme des poupées russes. » expliquent-elles.

 

Les craintes de l’OTE irritent également la communauté des agriculteurs tunisiens. Lors d’une table ronde organisée le31 mars dernier par l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP),  plusieurs agriculteurs ont exprimé leur peur de voir des étrangers s’accaparer des terres nationales, mais c’est surtout des sociétés qu’ils ont  peur. Les personnes morales pourraient acquérir les terres agricoles sans y investir. La spéculation pourrait augmenter les prix du foncier d’une manière vertigineuse. Une telle inflation pénaliserait les petits et moyens  agriculteurs qui  représentent 80%  des  professionnels  du secteur et qui souffrent déjà d’une pléthore  de problèmes (pluviométrie, difficulté d’accès au crédit, faible mécanisation…). Hédi Oueslati, représentant du ministère du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale, a beau apaiser les inquiétudes en avançant les arguments de la modernisation du secteur, d’un meilleur accès au financement et d’une lutte contre l’émiettement des terres agricoles, les craintes demeurent intactes

écrit par : Hafawa Rebhi